Août 2000
Avez-vous vu le film « Himalaya » d’Eric Valli ? Je crois que c’était la dernière fois que je suis allée au cinéma. Ca m’avait beaucoup bouleversé, c’était une vraie divination de la nature. Dans l’attente du survol de l’Everest, du Lhotsé et du Manaslu, avec tout l’Himalaya de l’Est, le paysage est majestueux et grave : voici une crête, puis là bas un petit ruisseau. Nous planions au dessus des nuages (c’était au mois d’août, la visibilité n’est pas toujours très bonne), puis approchions les trois sommets plus de 8000 m crevant la mer épaisse des nuages. Le Népal est certainement l’un des pays les plus attachants où je suis allée.
Partant un soir de Paris, j’ai du changer deux fois d’avion pour atterrir à Doha vers 6h du matin, au lever du soleil. Imaginez, en plein désert, la ville de couleur pourpre dans une chaleur étouffante, s’imposait comme un mirage hallucinant. Malgré l’heure matinale il y faisait peut être déjà 40°C. Je sortais de l’avion, éblouie par cette lumière, étouffée par une chaleur inhumaine. Nous nous encastrons dans le bus qui nous emmène au terminal; par bonheur, climatisé ! Dans cette région, l’eau des piscines des hôtels est réfrigérée en été ! Dès l’arrivée au lounge de l’aéroport, je me suis étalée dans un fauteuil, et dormais sans façon dans l’attente de notre vol de huit heures pour Katmandou.
C’était en 2000. Katmandou était encore une ville qui conserve tout le charme d’une ville d’Asie comme on l’aime, tel Hànôi ou Rangoon, pas encore défigurée par les buildings et les autoroutes urbaines. Vieux camions pétaradants, foule joyeuse, maisons anarchiques… La découverte de Katmandou le lendemain matin fut un plaisir absolu. Les jolis temples avec végétations sur les toits du Durbar Square, quartiers trépidants avec le vestige des bars soixante huitards, la jolie petite ville Patan, musée à ciel ouvert. Puis Bodnath, c’est ce temple hindou caractérisé par son stupa blanc à la tibétaine, les yeux interrogateurs sous le toit de chaume, symbolisent Katmandou et son mélange de religion hindouiste et bouddhiste. Puis ce soir là, mes pas s’attardent sur les marches de Swayambounath, cette colline dominée par des stupas blancs ornés d’énormes yeux, toujours aussi interrogateurs. Me mêlant aux pèlerins de toutes sortes, je contournais la colline mettre une offrande et laisser mes pensées vagabonder dans une vague réflexion sur l’existence, la vanité et la finalité d’une vie ou des vies…. Des vies qui finissent à Pashupatinath par la crémation sur les ghats sacrés au bord de la rivière Bagmati (une des sources formant le Gange). Prière du soir, bûchers scintillants, temples éclairés de torches et son de gongs qui résonnent sur l’eau… Le petit Bénarès népalais était aussi émouvant et aussi bouleversant que ce que j’avais connu en Inde.
Passant par une autre ville musée de la vallée, Bhaktapur, où l’on découvre mille et une fenêtres sculptées avec une finesse sans pareil, j’arrive à Dhulikhel. L’hôtel est juché sur un flanc de colline. De ma chambre, j’avais une vue sur l’Himalaya de l’Est. Il y avait des nuages cet après midi là. On ne voyait pas grande chose. Soudain, juste avant le coucher du soleil, une douzaine de sommets, hauts de plus de 7 000 mètres apparaissaient ! Comme une hallucination, à une distance mouvante, sous une lumière irréelle entre deux nuages, des sommets enneigés, vierges, majestueux et menaçants à la fois. J’avais bel et bien vu des films, des cartes postales, pour me faire des idées, mais ce que je voyais était sans pareil ! Puis, comme le fût cette apparition céleste, tout disparaît, derrière le rideau nuageux, cela n’a duré guère que quelques minutes. Un sentiment d’angoisse et pas autre chose alors m’étreignit devant cette furtive splendeur.
D’autres moments bien que moins grandioses, furent très rigolos, par exemple ce safari à dos d’éléphant ou cette balade dans la jungle pour observer les oiseaux. Un beau petit matin, à pied, dans le parc national de Chitwan, suivant le guide, jumelles à la main, pour observer les fameux oiseaux nous suivions un petit sentier menant tout droit, semblait-il, à un plan d’eau. Nous avancions, à pas feutrés, le guide tenait les branches pour me permettre d’avancer quand, soudain il pousse un cris étouffé par la frayeur : nous étions tombés sur une dizaine de rhinocéros se prélassent devant notre nez ! « Come ! and run. » Il m’a tiré à lui et nous nous enfuirent à toute vitesse. Le guide ne s’attendait pas à voir des rhinos par ici. Hier, on en a vu trois ou quatre, mais du dos de l’éléphant, aucun danger donc….
J’ai aussi partagé des moments de simple bonheur pendant une balade à Katmandou. Sachant que j’adorais les samoussas, Pratishtha, ma guide préférée, m’a emmené dans un petit boui-boui situé dans la cour d’une maison pour y goûter les meilleurs samoussas de Kathmandou (et ce n’était absolument pas exagéré !).
Quittant le parc, nous reprenons la route pour l’Annapurna (l’Himalaya de l’Ouest). Arrivée l’embranchement pour aller à l’est de Katmandou et Pokhara à l’Ouest, on lisait l’indication « cable car ». « Qu’est ce que c’est ?» « C’est le seul téléphérique du Népal, menant à un temple sacré, il était autrefois nécessaire trois jours de montagne pour y aller… » « On y va ? » « Non je ne veux pas » « Eh ben, j’irai toute seule ». Vu ma détermination, le guide m’a laissé filer. Une demi heure de téléphérique avec des vues époustouflantes sur les rizières en terrasses et une demie douzaine de collines (1500 m pour un Népalais, ce sont des collines !). On m’a déposée puis suivant le petit sentier, guidé par la musique des gongs dans le vent, je suis arrivée au temple. Des pigeons par millier, un monde fou, une queue énorme s’est formée dans la cour pour attendre son tour afin d’accéder au temple et y déposer les offrandes. A gauche de l’entrée, un monsieur, un grand couteau de boucher à la main, égorge les animaux pour les sacrifier. J’ai braqué ma caméra pour filmer sans oser regarder coqs, et surtout chèvres, décapités d’un coup sec !
Nous arrivons à Pokhara, et avons accédé à notre hôtel en barque. Normalement l’hôtel était fermé et mon correspondant pour un meilleur accueil, m’y hébergea. J’y étais toute seule la première nuit, Mr. Rana et Mrs. Purnima (pleine lune), les propriétaires, ne sont venus que la nuit suivante. 60 personnes, habituellement pour 30 bungalows, y travaillent, pour me chouchouter aux petits soins. Après midi, baignade dans le lac, puis j’ai pris la barque pour partir toute seule sur l’autre rive, marcher dans la montagne, me promener dans les villages aux alentours, accessibles uniquement par bateau ou longue marche à pied. A midi, je me plongeais dans un bain parfumé aux fleurs de frangipaniers. Le soir, le chef en personne m’a concoctait des « nems », arrosés d’une bouteille de Graves de la cave du chef, ils me fêtaient, par surprise, mon anniversaire. Le lendemain matin, à l’aube, petit déjeuner pris sur la terrasse, avec pour toile de fond les sommets de l’Himalaya (l’Annapurna) se reflétant dans le miroir du lac. Comme ce fut le cas à Dhulikhel, les sommets, mystérieux et lointains, font, à l’aube, une apparition plus que furtive, puis se coiffent des nuages d’Août. Je me promets pour la prochaine fois de faire une randonnée pédestre, mais pour une citadine comme moi la marche dans de telles conditions est toujours envisagée avec réticence…