Ce récit de voyage au Kerala, Inde du Sud, est écrit en Janvier 2002. Idéalement ce voyage se combine avec un Prélude au Tamil Nadu, ou pour ceux qui ont du temps, il serait idéal de prolonger jusqu’au Karnataka.
Janvier 2002
De Colombo à Trivandrum, 45 minutes de vols entre le bleu transparent du ciel et celui transposant de l’Océan Indien, on aperçoit nettement le si fameux cap Comorin. Des kilomètres de plages bordées de cocotiers semblent infinis, nous voilà arrivés à Trivandrum (nouveau nom Thiruvananthapuram !).
En voiture pour Allepey (nouveau nom Alappuzha), situe à 200km. Les backwaters, comme ils disent, s’étendent à partir de Quilom (Kollam) près de Trivandrum, s’ouvrant sur le lac Ashtamudi parsemé d’îlots verts. La voie d’eau continue jusqu’au lac Vembanad d’Allepey (environ 10 heures de navigation).
Ces moments d’attente de notre petite barque pour accéder à Emerald Isle Resort sont délicieux, l’eau tranquille, le soleil présent, et les discussions des habitants à l’embarcadère nous emmènent dans un autre monde. Le ressort (le mot est quelque peu exagéré), comprend 5 chambres, est en fait une ancienne demeure restaurée avec de jolies boiseries, en prime un service cordial et simple. La maison, complètement cachée sous poivriers, canneliers, hibiscus, bananiers, cocotiers, flotte au milieu d’un côté la lagune, et de l’autre coté une rizière. Le calme est absolu, la tranquillité hors du temps.
La plupart des Houseboats font un tour d’Allepey jusqu’à Kumarakom, mais on peut le faire aussi dans l’autre sens d’Allepey à Kollam (Quilom, de l’ancien nom). Les luxueux hôtels de légende comme Coconut Lagoon, Kumarakom Lake resort ou Taj Garden Retreat sont à Kumarakom.
A Kottayam, pas très loin dans les terres, ils sont plutôt fonctionnels. Environ 200 houseboats sont basé à Allepey, et une autre centaine est à Kollam. La structure des bateaux est sensiblement la même, les prix sont plutôt variables selon Xavier, le propriétaire du nôtre.
Embarquement sur le Kettuvalam, (House boat), la maison flottante typiquement du Kerala. Voici le rêve des touristes un peu aventuriers. Une quarantaine s’alignent sur le « Finishing point », l’embarcadère, pour le check-in. Un sampan à moteur au toit en fibre de la noix de coco joliment tressé, ouvert à l’avant formant un petit salon, une ou deux chambres selon le sampan à confort simpliste mais suffisant et propre, un équipage de trois personnes dont deux matelots et un cuisinier, et nous voilà embarqués sur notre aventure aquatique kéralienne. L’eau tranquille, villages verdoyants, rizières peuplées de cigognes blanches, canaux bordés de franges de cocotiers, tapis de nénuphars violets alternant avec ceux des jacinthes d’eau de couleur verte foncée, les promesses sont tenues. Nous avons jeté l’ancre autour de 7 heures du soir, au milieu de nulle part. La lune est là, superbe, une lune à deux tiers avec toute sa grâce. Le chant des oiseaux et des grenouilles sont nos uniques compagnons. Le dîner est servi sous la lumière des lampes à pétrole et aux chandelles… le dépaysement est complet. Détails pratiques à ne pas oublier : la chambre, fermée, bénéficie moins d’air frais que sur le pont, et les produits contre les moustiques sont indispensables pour passer une nuit tranquille…
Le soleil se lève d’abord discrètement puis majestueusement. Les bavardages de l’équipage m’ont réveillé. Après un thé noir bien corsé, un coup de cloche « ding-dong » du capitaine et nous voilà repartir. La lumière du matin dévoile la scène sous un autre angle. Les fleurs des jacinthes d’eau sont ouvertes avec toute leur beauté, quelques barques sont amarrées près du bateau, leur propriétaires sont trempés jusqu’au cou à leur côté, son anglais étant limité, le capitaine ne sait pas comment m’expliquer ce que font ces hommes. Quelques cormorans, téméraires, passent presque sous notre nez avec leurs proies argentés. Des étendus énormes de jacinthes d’eau sont éparpillés sur l’eau. Arrivant tout droit d’ Allepey, nous apercevons à gauche du canal où se dirige notre Kettuvalam l’ombre cossu des bungalows luxueux du Coconut Lagoon resort. Un dernier regard s’attarde encore sur les scènes de vie au bord de ce canal, le débarcadère est au bout. Débarquement à Kumarkonam, laissant derrière Houseboat, canaux, l’immense lac Vembanad, les hôtels Taj Garden Retreat et Kumarakom Lake Resort sur la droite, nous longeons le canal bordé de cocotier pour prendre le chemin dans la direction de la réserve de Peryiar.
Et quel chemin… l’Inde serait moins attrayante et moins typique sans ce côté hasardeux de ses chemins. Rickshaws zigzaguant, Ambassadors filant à toute vitesse, Jeeps pétaradants, camions intimidants, le tout dans un mélange de poussière incroyable du tintamarres des klaxons (j’ ai dénombré au moins une dizaine de mélodies différentes, sans compter les beuglements étourdissants de quelques poids lourds). Puis parmi tous ces mélanges, de ça de là apparaissent des silhouettes gracieuses de couleur chatoyante les sarees des femmes indiennes, impeccablement coiffées et discrètement maquillées, une charge sur la tête, ou encore plus souvent un parasol négligemment posé sur une épaule, elles bravent les rues dans la chaleur, dans la poussière, sous le soleil brillant de toutes ses forces. Au coin de la rue, un autel à l’effigie de Vishnu, puis une tour avec la Sainte Marie et son enfant sacré, au tournant, on peut encore croiser la coupole d’une mosquée, où une l’église flambant neuve dédiée à Saint Michael… Des hordes de buffles et de vache se disputent la chaussée avec les 4×4 dernier modèle et moto style vespa de chez Tata (l’équivalent des Peugeot chez nous), un sâdhu, le corps couvert de cendre, sortant tout droit d’un film hollywoodien sur la vie de Bouddha depuis le prince Sidharta, erre dans son monde, se mélange avec des collégiens en uniforme à la sortie de l’école, bruyants comme un troupeau de moineaux… le voyageur venu d’ailleurs ne se lasse pas d’observer ce monde enivrant et ensorcelant unique sur cette planète Inde.
On appelle à juste titre le Kerala « green land », le pays verdoyant. Toutes les nuances de vert sont présentes, à chaque pas. Vert émeraude de ses eaux, vert foncé de ses jungles, vert doré des franges de coco au soleil ; vert poudré des peaux de noix de coco, vert majestueux des collines de théiers, vert tremblant des feuillages de flamboyants, vert brillant des feuilles de cacaotiers, vert émeraude fluorescent des jeunes feuilles de bananier, vert pale argenté des feuilles d’une forêt d’ hévéas au vent; vert mystérieux du visage (Paccha) de Jayanthan, le beau prince séduisant d’une danse Kathakali, vert patiné des personnages du Ramayana sur les fresques du palais hollandais de Cochin… Fermons les yeux pour mieux apprécier cette harmonie de couleurs, nous sommes envahis par la symphonie des senteurs. Jasmins, frangipanes, orchidées, fuschia, holycross orchidée, hexora coccinia (fleurs des temple), kaliandra (powder pops), rose apple, sensitive, caféiers en fleurs et mille autres dont on connaît pas le nom parfument délicatement chaque pas de cette promenade à pied sur les hauteurs de Thekkady. Puis rivalisent les arbres à muscat, à cardamome, à cannelles, à cumin, girofliers, plantes à gingembre, celle au turméric (curcuma ou faux safran), à vanille, à citronnelle, à galanga ; citrus où encore cet arbre donnant des fruits à cinq parfums… On est émerveillé devant cette orchidée venue du Cambodge ! Tout en fleurs sous forme de souliers de fête, celle au nom d’Heliconia arrivant de l’Amazonie que les fleurs ressemblent à du plastique, d’une couleur rouge plus que bizarre, où encore cette plante nommé « jasmin magique », ou « hier, aujourd’hui, demain », dont les fleurs ressemblent à des pensées où des papillons, le bourgeon d’ hier, donne naissance à la fleur de couleur violette aujourd’hui, qui sera de couleur blanche le lendemain… Toutes les boutiques en ville proposent des épices en vrac, sous toutes les formes…attendent à être ensachées suivant votre désir. La promenade d’épices complète très bien celle sur le lac Peryiar, en jouant des chasseurs d’image dans la réserve sur un bateau collectif, les chances d’apercevoir les animaux sont plus que rares, mais le cadre reste tout de même idyllique si l’on arrive à oublier la parade des bateaux pour les touristes que nous sommes.
Nous quittons Thekkady et ses jardins d’épices, ses théiers, ses caféiers, ses hévéas, 6 heures de conduite soutenue nous séparent Peryiar de Cochin. Descendant lentement sur la côte, nous regagnons la plaine, les rizières et les backwaters. Le choix d’un des grands hôtels sur l’île de Wellington (Trident, Taj Malabar, Casino) nous sépare un peu du Fort Kochi, mais logeant dans des petites luxueux palaces « Héritage » sur Fort Kochi (Malabar house, Brunton Boatyard, Fort Heritage), le voyageur européen sillonnant cet ancien comptoir ayant été respectivement portugais, hollandais et anglais trouve à chaque coin de rue un petit vestige bien de chez lui.
Siroter un verre de thé au tea-time avec une tarte aux pommes dans un de ces nombreux bakeries, assister à une messe à la basilique romane de Santa Cruz, contempler le cadre bien particulier de l’église hollandais Saint François Xavier en y exprimant son vœu, longer ces rues bordées de petites maisons (villas clinquantes ou huttes simplistes), toutes illuminées par des étoiles de toutes les couleurs pour Noël et nouvel an… sont autant de moments de bonheur qui agrémentent le voyage… Puis d’autres attractions plus « couleur locale » comme regarder avec amusement les pêcheurs aux carrelets chinois sur le front de mer, errer dans le vieux marché aux grains en gros, rêver devant la danse de Kathakali, admirer les fresques murales dans le palais hollandais, déguster un poisson frais dans ces restaurants au bord de mer, observer la valse des bateaux et barques de toutes sortes sur l’entrée du port de Cochin depuis le balcon de sa chambre du Brunton Boatyard, ancienne demeure anglaise reconvertie en hôtel, ou se mêler dans la vieille ville et apprécier un excellent biryiani dans une des nombreuses échoppes… Ou pourquoi pas se confier aux mains expertes des masseurs kéraliens pour une cure d’Ayurveda à laquelle on attribue une foule de bien-fait et de savoir-faire millénaire pour la santé, contre le stress et pour le rajeunissement.
Quittant Cochin, en allant vers Trivandrum dans le sud, trois stations balnéaires commencent à rivaliser Goa : Marari, Varkala, et la fameuse Kovallam. Goyaviers, jacquiers, bougainvilliers, frangipaniers, bananiers, cocotiers, flamboyants,… remplacent théiers et caféiers. A Marari, pas très loin d’Allepey, un seul hôtel, le luxueux Marari beach de la chaîne Casino : immense jardin fleuri, impeccable piscine, personnel irréprochable, plage immense au sable fin aux eaux transparentes, étendues de lotus et de nénuphars à chaque coin de la promenade. Un peu au nord de Trivandrum, le Varkala beach commence à avoir son chapelet de restaurants et de boutiques au bord de mer et sur la falaise surplombant la mer. Excepté le Taj Garden Retreat, d’une capacité limitée d’une trentaine de chambre et le double pour le personnel, un autre petit hôtel, le Preef beach resort… offre dix neuf chambres simples sous forme de bungalow pour les petits budgets. Le reste sont plutôt des guesthouses, information en 2002.
Kovallam est le nom d’un district comportant un ensemble de plage, situé à 15 kilomètres de Trivandrum. La mer est belle, le sable est blanc. La plage la plus animée est celle à côté d’hôtel Ashoka (censé être le plus cher du coin, avec un service horrible et l’ambiance extrêmement industrielle). Puis l’autre côté s’amasse une pléthore de guesthouse, d’hôtels de basse catégorie, les uns sur les autres, au milieu de boutiques et de restaurants pour les touristes… Mais c’est encore loin d’être Phuket ! Nous avons préféré nous retirer de la foule (animation garantie en ce jour de Saint Sylvestre) pour nous installer à Coconut bay beach resort, dans une de ces nombreux villas avec vue sur la mer et piscine. Sa plage est intime, les villageois sont nos seuls compagnons. Une crique coincée entre deux rochers, la plage ici descend plus vite qu’à Light house beach, on perd le pied à une dizaine de mètre du bord. Les vagues sont plus sympathiques, aussi.
Crépuscule paisible depuis la terrasse de ma chambre, jouissant une position exceptionnelle au bout de la falaise surplombant la mer, le reste du monde me semble bien lointain. Des chaînes de vagues échouent sans cesse sur le rocher et sur la grande plage déserte. Au loin, sur l’autre côté de la baie bordée de cocotier, l’ombre de la mosquée se dessine nettement sur un ciel de couleur pourpre, puis soudainement tout sombre avec la disparition du soleil, filant à toute vitesse à l’horizon. Il ne reste plus que la murmure des vagues. Au loin, très loin, le phare balaie le tout par l’intermittence de son éclat. Puis petit à petit, des petites lampes des bateaux de pêcheurs s’éclaircissent d’ici de là, frêles lumières au milieu d’un océan noir.
Attirée par une étrange mélodie, mes pas approchent la plage, dans la pénombre. On voit des silhouettes en dhoti blanc des pêcheurs (des tireurs de filet, plutôt). Comme un chant de bateliers servant à rythmer l’effort pour mieux tirer, ces hommes sont en train de tirer des heures durant sur une corde, ramenant à l’autre bout le filet chargé de poissons. Leur chant résonne sur cette plage lointaine perdue dans l’océan indien, porte l’émotion à son comble.
Entre le départ du soleil et l’arrivée de la lune, la pleine lune, maintenant la pénombre domine. Plus il fait noir, plus le murmure des vagues devient présent. Ce ne sont plus des murmures, cela devient presque des hurlements en polyphonie. Très basses, puissantes et espacées sont celles qui tapent directement sur le rocher, puis une mélodie intermédiaire, comme une alto, est celle arrivant sur les petits rochers du bas, puis il y a le chœur, régulier et continue, des vagues qui caressent sans fin le sable la plage déserte.
Puis avant aube, on se sent tout petit devant l’éclat argenté éblouissant d’une lune pleinement épanouie au dessus d’une mer limpide et la plage invisible où viennent mourir les vagues… Dernier regard sur le temple dravidien en marbre blanc à Trivandrum déjà en plein rituel d’offrandes à l’aube, …………. Kerala, à une prochaine fois.