A une heure de route de Chiengraï, après avoir traversé le Mékong, me voilà à Houeixai, la bourgade frontalière capitale de la province de Bokeo. Oudomxay, la capitale de la province de Luongnamtha, se trouve à 200 kilomètres au nord. On peut aussi aller plus haut, vers Muongsinh, le district aux trois frontières avec la Birmanie, la Chine et le Laos. C’est ici qu’on trouve la concentration la plus dense des ethnies minoritaires du pays. Une bonne quarantaine sur les 68 que compte le Laos, dont les plus présentatifs sont des Lao Tene, H’mong, Khmu….
Le Mékong, ce fleuve quasi-mythique pour moi, s’étend presque banalement après avoir traversé la frontière côté Thaïlandais. Un demi arc-en-ciel trône sur le vert luxuriant de la rive laotienne. Deux jeunes, presque adolescents encore, descendent ma valise sur cette barque avec un moteur hors bord, comme partout en Asie. Deux minutes plus tard, nous voilà remontée sur la rive laotienne. Le guide, Khammuon (qui signifie la richesse de l’or), est content de me voir, j’ai été prévu sur le vol 4 heures à l’avance. Le bureau de change est fermé … et quel bureau de change ! Cet espèce de pièce avec des barreaux complètement délabrée faisant bloc avec la police de frontière. Khammuon me fait savoir qu’il n’est pas réellement nécessaire de retirer de l’argent, il m’a donc prêté quelques milliers de kips pour les petits achats et les repas qui ne coûtent que quelques petites poignées de kips. En gros, avec l’équivalent de dix euro, on a de quoi dépenser sans compter deux trois jours pour les boissons et la nourriture. Il a plu pendant trois jours, ce qui est rare pour une fin de novembre. Alors tout le monde en parle : les paysannes de Lao Ten que nous avons pris sur le pick-up lorsque’elles rentrent des champs, situés à environ trois kilomètre du village, le patron du guest-house où je passe la nuit, qui parle un français impeccable.
Les champs se parent d’une robe dorée dans la lumière éblouissante en fin de journée avant que la brume du soir ne retombe. La canopée des bambous, toute sorte de bambou, se baignent aussi dans cette lumière particulière. Le ciel est haut, des amoncelles de nuages, la fumée, l’odeur de la fumée des foyers se fond dans les bruits des animaux qui rentrent des champs, tantôt lointains tantôt juste à côté. Il fait frais, voire froid en cette fin de novembre. Dans les villages que nous traversons, des hordes de bambins espiègles et joyeux nous regardent avec curiosité. Leur mode de vie, leurs soucis et leurs joies n’ont pas grande chose à voir avec les nôtres, on est dans une autre ère… Le soir, après un dîner composant de khao niao (riz des montagnes à la vapeur), de délicieux poisson du Mékong frit et de courge sautée à l’ail, je sors dans la rue pour aller me faire un petit bain de vapeur aux herbes et un massage pour me remettre après 24h debout. Il est vrai que si l’on additionne le voyage long courrier, la correspondance à Bangkok, le transfert à la frontière et visite dans la foulée de l’après midi, cela fait long à la fin malgré l’enthousiasme à l’arrivée. La rue principale est uniquement éclairée par la lumière des maisons et quelques enseignes au néon.
Embarcation dans notre bateau privé, qui peut contenir jusqu’à vingt passagers (à l’aise). C’est un bateau avec moteur en arrière, à toit aplatit (hauteur maximum sous le toit 1m30 environ). Entre le guide dépêché exprès de Luongprabang, parfois de Vientiane et toujours à la veille des arrivées des voyageurs, la chartérisation d’un bateau privé en deux jours, le fioul importé, les nuits d’hôtel au milieu, tout cela fait que le coût devient relativement élevé (et heureusement qu’on est encore au Laos, et pas en Europe) par rapport aux autres itinéraires. Pour le moins de confort… Mais peut-on parler de coût pour une telle expérience ? Dès que le bateau accomplit les formalités (il y en a au moins trois ou quatre pendant les deux jours), un plaisir indescriptible commence à envahir tous spectateurs de ce spectacle de la nature. La solitude face à la force de la nature, à sa beauté, à sa gravité, et c’est tout une découverte d’un monde différent, d’un environnement tout autre, et une découverte de soi-même… On a quitté la frontière avec la Thaïlande au nord depuis à peu près deux heures de navigation. La nuit tombe doucement. Les derniers bateaux arrivent, de loin, le petit brouhaha se mélange sourdement avec des bruis pendant le débarquement. Le petit barrage de Pakbeng est en panne, et vu qu’à chacun son propre générateur, il restera, nul doute, en panne pour encore un petit moment. Lors de la balade au village, trois fois de suite je voulais déguster la salade aux papayes vertes, trois fois on me dit que c’est fini. Or le marché se trouve juste en face, et les papayes sont en vente par dizaines encore. On me dit que pour un Laotien, lorsque c’est fini, c’est fini, et il a ajouté qu’on est dans un petit village (et alors ?), je risque de le décevoir en écrivant cette ligne… mais bon. C’est la sérénité du Laos, c’est le charme des Laotiens qui prennent leur pause déjeuner même pendant la bataille ! Que veut-on de plus pour venir chercher ici, ne serait-ce que la sérénité ?
Depuis la terrasse de Salika guesthouse, la vue est imprenable. Les traits d’une énorme montagne se dessinent sombrement sur un ciel de couleur bleu turquoise. Une autre sur la gauche, puis loin, emmène lentement cours du fleuve vers nulle part… Et cette fluide chargée d’alluvion qu’est le Mékong coule et continue à couler depuis peut être mille ans et encore dans mille ans ; indifféremment, irrésistiblement. La nuit tombe, complètement, il est 18h. Il ne reste plus que le plan d’eau qui reflète l’ombre de la montagne d’en face. Et la lueur de quelques lumières des bateliers à l’embarcadère, comme de lucioles. Puis il fait tout noir, à 18h15, il ne reste plus que les petites lumières. Et la voix joyeuse et irrégulière de quelques enfants qui s’amusent pas loin, sur la route principale du village. Doucement, les étoiles font leur apparition dans ce ciel de velours noir. Un brin de bruits de l’eau qui coule se fait entendre au loin. Un guide a bien dit, Pakbeng donne l’impression d’être au bout du monde…