Camper sa tente entre les deux dunes de sable chantant, enfourcher les chevaux mongols à l’orée de la Sibérie sur les rives du lac Khovsgol à la recherche d’une maison de chamane, passer une soirée de chants alternés avec les nomades dans le désert de Gobi: la Mongolie est l’expérience unique de la vie d’un voyageur. Dans l’immensité de la steppe, on vivra près des nomades mongols en tente ou en yourte. Ici, nous n’avons plus de notion du temps, de l’espace, voire de l’argent qui sont des notions d’une société bien lointaine. Seules la vie, la nature et la chaleur humaine comptent. Ce rapport, réécrit en 2015, a été perdu dans de multiples sauvegardes mais même douze ans plus tard, les couleurs et les paysages restent à jamais gravées dans ma mémoire et, j’en suis sûre, de n’importe quel voyageur.
L’arrivée à Ulan Bataar n’est pas le meilleur souvenir, ou, pour ainsi dire, ce n’est pas un souvenir du tout. Nous sommes allés au bazar pour y acheter quelques bricoles pour le périple. C’est un bazar dans l’esprit des pays de l’Asie Centrale où l’on peut trouver de tout. A l’époque, il n’y avait pas autant de camps de yourtes comme maintenant, nous partions donc en autarcie.
L’équipage comprenait la guide, Tuya, une jeune fille de 25 ans, mais ayant une allure d’ado. Elle parlait parfaitement français. Après, nous avions un cuistot, Baska, un jeune homme ayant la trentaine, très gentil et débrouillard. Et le chauffeur, Tsering, un vrai banian, un homme qui a littéralement conduit l’expédition au bon port. Et quel port…
La superficie de la Mongolie fait deux fois et demi de la France, mais avec une population d’environ 3 millions seulement dont plus d’un tiers vit à Ulan Bataar. Donc dès que l’on sort de la ville c’est un autre pays qui s’ouvre devant le voyageur. Tout d’abord, il n’y a pas de route nulle part. Une seule route goudronnée part d’Ulan Bataar à l’ouest de la ville de Ovorkhangaï et fait environ 200km. Sans doute quelques autres routes se sont construites depuis, mais l’immense pays se parcourt librement, il n’y a même pas de piste, ni de clôture.
Tsering nous étonne tous les jours pour nous emmener à la bonne destination en suivant un programme avec un déroulement de séjour bien « strict » malgré l’absence de signalisation et de route. Vers 3h dans l’après-midi, après quelques haltes aux différents campements ainsi que quelques arrêts pour les photos, comme prévu, le minibus 4×4 russe nous dépose en bas de la montagne Baga Gazaryin Chuluu. Baska nous demande si nous voudrions faire du cheval, nous acceptons et voilà, dix minutes plus tard nous faisions notre première chevauchée, sur des chevaux dont le caractère est choisi selon notre niveau. Les selles russes en cuir ont remplacé les selles mongoles en bois, heureusement. Pendant ce temps là, Baska a installé ses ustensiles, il nous a fait des spaghettis à la bolognaise pour le dîner. Nous nous dépêchons, au retour de la balade à cheval, de monter notre tente avant que le soir tombe. Pendant que nous faisions du cheval, Tsering est parti sur la montagne, assez pelée, pour ramasser une grande botte de branches. Il fait nuit vers 7h en ce mois d’Août et la température la nuit frôle les 0°C. Après toute une journée de balade et d’émotions, nous faisons une toilette rapide avec des lingettes et nous dépêchons de nous mettre dans notre sac de couchage avant que le feu de Tsering ne s’éteigne. La nuit est pleine d’étoiles et le ciel est d’un bleu tellement intense que l’on croirait flotter.
C’est ainsi que notre caravane arrive doucement, mine de rien, au sud du désert de Gobi au bout de 4 jours. En fait, son nom est plutôt steppe, puisque, bien qu’aride, nous n’avons pas vu beaucoup de sable mais seulement cette espèce d’herbe à raz le sol, un sol relativement dur où les véhicules peuvent circuler sans problèmes. Aujourd’hui, après avoir monté à cheval jusqu’au fond de la gorge Dungenee dans La vallée Yoliin Am où les Mongoles s’extasient aussi pour nous montrer la glace au fond de la vallée en plein été, nous campons au pied du Kholkhorin Els, « les sables chantants » en mongol. C’est seulement ici, comme dans quelques rares endroits au sud du Gobi et la star des stars est cette dune, de plus de 400 mètres et longue d’un kilomètres, dont on peut entendre de longues mélodies indescriptibles lorsque le vent souffle sur ses flancs. L’endroit est réputé touristique, nous sommes en pleine saison, mais nous n’avons pas vu beaucoup de monde s’aventurer sur la dune immense. La Mongolie est encore réservée aux voyageurs sélectionnés qui cherchent une idée de voyage d’exception.
Les sables chantant étaient notre dernier point au Sud, nous remontons désormais la steppe en direction du lac Khovsgol par la route ouest, enfin par la piste vers l’ouest de la steppe. Jusqu’à maintenant, pour se ravitailler en eau, avec les connaissances des points de campements des nomades de Tsering, nous sommes toujours arrivés à avoir de l’eau une fois tous les deux jours. L’essence est aussi contenue dans 4 jerrycans et doit être suffisante jusqu’à la prochaine « ville », en gros, nous sommes autonome pour trois jours en essence, mais seulement deux jours en eau. Et ça fait le 2ème jour que nous quittions les dernières yourtes dressées près du Kholkhorin Els. Vers 15h, Tsering scrute l’horizon et ne voit pas ce qu’il guettait, il a fini par nous dire que nous risquions de ne pas avoir assez d’eau pour ce soir et qu’il essayait de trouver autre chose. Nous avons roulé pendant 1h sur une piste qui ressemblait à un ancien lit de rivière ayant connue surement une crue violente car on voyait encore des restes d’arbres déracinés un peu partout. Le minivan, bien qu’avec les 4 roues motrices, a du mal à avancer sur un sol instable. Je me disais que la Mongolie est décidément spéciale où le repère de l’argent n’a plus aucun sens puisque, à ce moment précis, si l’on a mille euros, on ne peut pas acheter une goûte d’eau de personne.
A un moment, Tsering a dit quelque chose et nous nous sommes arrêtés. C’était un autre campement, mais un dans lequel les nomades ne viennent plus depuis des années. Nous sommes descendus du minivan. Tsering est allé un peu plus loin et nous a fait signe que c’était bon. Il avait trouvé une espèce de puits naturel semi découvert, caché par deux planches de bois. Une fois après les avoir enlevées nous avons eu accès à une source relativement abondante et j’ai même pu me laver les cheveux, sans champoing, à quelques mètres de là. Il faisait tard, nous avons mangé à toute vitesse et monté notre tente. Soudain, le vent du désert s’est levé sans crier gare, nos quatre tentes se sont envolées avec la force du vent, et nous avons du tout recommencé, cette fois-ci avec des pierres en guise de leste. La nuit est finalement tombée et nous nous sommes abriter sous nos frêles tentes, mais on s’endort rapidement après une longue journée pleine d’événements.
Pendant quatre jours, nous n’avons croisé pratiquement personne mis à part quelques camps de nomades. Les campements sont là mais il n’y a personne, les habitants sont partis avec les troupeaux au loin, et ont laissés des « kits d’accueil » qui se composent, selon la famille, de quelques denrées locales: yaourt, fromage surtout, et parfois du pain. Sans rien demander en retour. Au cas où les voyageurs pommés dans la steppe se trouvent dans le besoin. Voyez-vous, l’argent n’a aucune signification ici.
Aujourd’hui nous visitons le monastère Erden Zhu, monastère de style tibétain cerné de stupas blancs. C’est le monument le mieux conservé de toute la Mongolie car nous avons déjà croisé quelques uns de ces monastères perdus dans la steppe battus par le vent et qui avaient l’air d’être plutôt abandonnés.
Ce soir-là, à côté d’Erden Zhu, nous passons notre première nuit dans une yourte touristique. Il s’agit de camps où les yourtes sont dressées, à la manière des nomades, pendant la saison touristique par quelques agences qui les équipent en plus de douches, de toilettes communes, rustique mais plus confortable que les tentes. Chaque yourte a un poêle traditionnel et peut contenir 6 lits. La spécialité de la Mongolie est qu’on partage les yourtes, si ce mode d’hébergement est prévu tout le long du voyage, avec d’autres touristes. Si l’on veut une yourte individuelle, il y a un gros supplément à payer. Outre les sanitaires, un camp d’yourtes offre aussi l’électricité pour les appareils photos et un lit. Mais à force, nous avons préféré dormir sur les matelas de nos tentes !
Nous avons terminé notre périple dans un camp d’yourtes au bord du lac Khovsgol. Maintenant les camps se concentrent sur la rive nord ouest du lac, à plus de 100 kilomètres de l’aéroport de Moron, mais à l’époque c’était à environ 100km au sud, à une trentaine de km de l’aéroport. Pendant ces journées nous avons repris le cheval, pour nous perfectionner, et pour visiter un peu. Il semble que les villages de Tsaatan que nous avons vus sont devenus complètement touristiques depuis. J’ai fais le dernier transfert du camp d’yourtes sur les rives du lac Khovsgol à l’aéroport Moron à cheval, non pas sans mal, mais j’y suis arrivée, mes compagnons de voyage ont préféré le minivan.
Nous n’avons pas mangé une fois le si célèbre BBQ mongol, mais nous avons fait cuire la viande de cheval cuite à la pierre. En fait il s’agit de galets que notre cuisinier fais braiser dans un feu de bois, puis il les a jeter dans une grande marmite avec de la viande, de sel, et quelques épices et il a tout secoué pendant dix bonnes minutes et c’était un délice. Avec plus de 25 millions de têtes de bétails et quasiment aucune plantation, les végétariens se voient malheureux pendant un voyage en Mongolie.
Nous avons rencontré un peu de nomades au cours de notre périple. Un soir, on a campé à côté d’un campement d’yourte de nomade à côté d’un très grand troupeau de chèvres, chèvres curieuses qui rentrent dans nos tentes sans prévenir personne et le soir, nous avons passé une superbe soirée de chants alternés avec les habitants du campement.
D’ailleurs, vous savez comment on montre la route à quelqu’un qui en demande en Mongolie ? Si la personne vous lève mollement le bras en montrant la direction, c’est que c’est à environ quelques heures de route dans la direction indiquée, si le bras se tend tout droit, c’est à peut être une journée de route, si le bras se lève plus hautement que ses épaules, cela veut dire qu’il faut aller à peu près dans cette direction et demander après, et qu’il y aura quelques jours de route. Le temps, l’espace, de l’argent, la relation humaine… ici en Mongolie tout est là pour bousculer les repères les plus représentatifs d’un monde moderne que les voyageurs pressés cherchent à fuir. Un voyage inoubliable même si l’on n’a pas la liste des sites archéologiques visités dans son carnet de voyage au retour pour montrer à ses amis.