Japon, juin 2013
Le Chugoku est le nom de la région centrale du Japon, elle comprend cinq préfectures : Hiroshima, Yokoama, Tottori, Shimane et Yamaguchi. Nous allons découvrir les deux premières d’entre elles cette fois-ci. C’est le mois de juin, mon amie Mariko s’est exclamée : « Pourquoi tu viens en juin ? Entre le 10 juin et le 10 juillet il pleut 3 semaines sur 4 à cause des typhons ». Elle ne s’est pas trompée cette année.
Je pense qu’il y a deux contrées parmi mes multiples voyages que je cherche vraiment à m’imprégner : c’est le Japon et l’Amérique Latine. Le Japon reste toujours une énigme entière. Depuis toujours je suis à la recherche du déchiffrage de l’énigme japonaise à chaque voyage, depuis mon premier voyage en 1999. Chaque voyage me rapporte de nouvelles explications, des nouvelles découvertes, chaque jour apporte son lot de surprises. Les Japonais ne s’excusent pas s’ils vous bousculent lorsque vous gênez leur passage (cyclable par exemple), pourquoi ? C’est parce que nous sommes dans une société de samuraï et nous ne sommes pas supposés gêner les autres par notre propre existence (explication de Toishimi, notre guide de ce dernier voyage à Chugoku).
C’est ainsi que les Japonais ne parlent jamais très fort dans les lieux publics voire chez eux. « Sans vous astreindre non plus au silence qu’on vous demanderait dans le cadre d’une méditation zazen, conformez-vous à la règle élémentaire consistant à ne pas paraître exagérément bruyant aux oreilles de vos voisins » (conseil d’un guide touristique). On ne redemande pas lorsqu’on reçoit l’ordre de son supérieur, encore moins le contester. Les étrangers, ignorants, préparant mal leur premier voyage, pour peu qu’ils se sentent mal à l’aise devant une société qu’ils n’arrivent pas à déchiffrer les codes, font pleines de gaffes. Les Japonais tolèrent et pardonnent diplomatiquement, mais certaines choses les affectent, les offensent, voire les choquent particulièrement. Dans d’autres pays asiatiques, ces comportements peuvent aussi choquer, mais au Japon, c’est parfois dramatique puisque les Japonais sont très sévères entre eux. C’est ainsi que le Japon progresse et étonne, aussi.
Le détachement est lorsqu’on entre dans un ryokan (auberge), on se défait de ses habits et de ses chaussures. On vit en anonymat, chacun s’habille en yucata. Tout le monde est pareil sans distinction et on se balade dans la maison commune, pieds nus ou en geta. Au Japon, on peut même ne pas fermer sa chambre. A ce jour, même si beaucoup de ryokan sont nouveaux, ces règles sont strictement suivies et le dépaysement reste intact. Le soir, on descend dîner dans la salle commune, après être passé au onsen. Là aussi, tout le monde se débarrasse de son yucata, se lave soigneusement avant d’entrer dans le bain commun pour se relaxer et se ressourcer. Les meilleurs ryokan que nous avons eus pendant ce voyage est le Kagura Monzen Yuji Mura, au village de Agei Takada, à soixante dix kilomètres de Hiroshima, dans la montagne. L’hôtel Washu Highland à Washuzan ressemble peu à un ryokan, mais ses bains sont magnifiques avec une vue à 180° sur les îles de la Mer Intérieure et le début du Pont de Seto, ce fameux pont long de plus de 13 kilomètres qui relie des principales îles sur cette mer où deux courants s’inversent selon la marée.
Ce détachement est aussi exprimé sur la table, le goût des aliments bien distingués dans cette cinquantaine de petits mets différents qui composent le kaiseiki: la saison, la mer, la terre, poissons crus et cuits, marinés ou encore fermentés, grains, racines, feuilles, fleurs, viande, champignons… Tout y est présent.
Puis, il y a le souci de détail et de perfection, que je commence à pouvoir détecter à la longueur de la journée : dans une maison, il faut respecter les règles des différents types de chaussons et les sens qu’on doit poser si l’on sort ou l’on rentre, la même chose pour le port des yucata (kimono en coton) et tous les codes qui y sont afférents. Dans un bain commun, que ce soit un onsen ou un ofuro (sans eau thermale), les endroits pour poser ses geta, ses serviettes, ses peignes, la température de l’eau, les produits… A l’heure du thé, savoir comment tenir son bol à thé, prendre les gorgées selon les règles de l’art (n’est ce pas que le chanoyu est-il une expression zen ?), décoder le dessin par rapport à la maison de thé ou à la saison, ainsi que décortiquer les ingrédients principaux des petits gâteaux qui l’accompagnent.
Après la visite très émouvante du musée d’Hiroshima, nous mettons cap sur le village de Agei Takada. Nous passerons la nuit au ryokan Kagura Monzen Yuji Mura, fait sur le modèle d’un village : rues bordées de lampion, étang remplit de carpes multicolores, ruisseau, jardin fleuri, petit théâtre de Kagura, très bonne table, boutique de spécialités de montagne et un très beau onsen. Le repas y était exquis. Justement, dans ce déchiffrage d’énigmes, je n’ose pas rentrer dans les détails de la cuisine, beaucoup trop sophistiqués pour un novice, mais je liste ici le contenu d’un kaiseiki, celui que nous avons eu à Agei Tagada :
– un plateau comprenant les mini-plats qui contiennent des yakumi (condiments) et les tsukemono (pickles) et les tsukidashi (amuse-gueules)… On peut lister les rondelles de racine de lotus, grains de ginko (gros comme une fève), différents types de champignons locaux si c’est l’automne. Tout est mariné dans des types de saveurs différentes, lamelle de calamars fermentés, omelettes roulées, pâte de soja, patate douce, aubergine grillée, confit de poulet, mini poissons marinés, d’autres poissons grillés…
– les différents types de sashimi (poisson cru) : petite crevette douce amaebi (sept. – oct.), dorade tai (mai-juin), nodoguro (doederleinia berycoide) au goût gras et fin, calmar rouge akaika, sériole buri, poisson épée sayori (comme les pereji au Pérou, un peu plus grand, à peau argentée avec une darne pointue), bonite, maquereaux, et bien sur différents types de morceaux de thon. Ils sont toujours particulièrement superbement présentés.
– un petit plat chaud hoba, porc cuit à l’étouffé dans une feuille séchée (de nèfle ?).
– un shabu-shabu, mini-fondue dont le bouillon est rehaussé au saké et avec comme ingrédients des boulettes de canard, des morceaux de courges vertes, des algues et des nouilles ramen (de blé), un morceau de calamar et quelques lamelles de dorade, champignon, algues et feuilles de chou de chrysanthème.
– une assiette de tempura, beignets, artistiquement présentée et particulièrement fins ici : racine de lotus, gombo, pince de crabe, jeune pousse de bambou, lamelle de gingembre.
– un autre bouillon aux oursins mijote avec quelques billes de taro (sorte de patate d’eau) et des herbes.
– une coupelle couverte contenant du chawan-mushi, flan d’œuf garni de grain de ginko, billes de taro et mini morceaux de canard.
– et pour finaliser le repas, un bol de riz, une soupe miso et quelques pickles tsukemono…
C’est la cuisine qui est encore servie dans quelques ryokan et les ryôtei, le seigneur de la gastronomie japonaise. Il semble que nous pourrions avoir quelques bonnes recettes sur le site www.lacuisinejaponaise.com. A vos armes, bon courage !
Au gré des jours, nous allons découvrir l’île de Miyajima à pied et en kayak : son sanctuaire Itsukushima et le célèbre torii flottant, le temple de Daiso-in, le Mont Misen et la vue sur la mer intérieure. Ce jour, route pour Onomichi, son parcours de temples avec vue imprenable sur la mer. On continue pour Tomonoura, petite ville portuaire avec le plus vieux phare du Japon. On est montée sur la terrasse d’un temple pour contempler l’île nommée Benten, déesse de l’art, du voyage et de la musique. En face, l’île de Sensui, il paraît que ça signifie un immortel qui resta sans voix devant la beauté du paysage de l’île de Benten. A Tomonoura, il y a un hôtel, le Ochikochi, avec onsen privé dans chaque chambre surplombant la mer comme à Shirahama dans le Kansaï.
Nous continuons notre route en direction de Kurashiki avec une superbe balade dans le vieux quartier de Bikan : la balade en bateau est un peu courte (rikiki même), mais les maisons sont jolies. Le musée d’Ohara a l’air aussi sympathique mais j’ai préféré monter sur le sanctuaire shinto d’Achi sur les hauteurs de la ville, avant de prendre des pancakes aux haricots rouges, la spécialité de la ville. Cap sur Washu zan dans le superbe hôtel Washu zan highland et ses bains surplombant les îles de la Mer Intérieure avec une vue à 180° !
Les petites îles de la Mer Intérieure avaient connu une période prospère, avant de tomber un peu dans la désuétude pendant quelques années. Puis certains mécènes ont réveillé le paysage avec quelques projets d’art moderne de première envergure sur les îles de Naoshima, Teishima et Inujima. Cette fois-ci, on ne visite que Naoshima avec le musée de Chichu conçu par Tadao Ando pour y exposer cinq œuvres et l’étang de Lotus qui nous fait croire être à Giverny, ou encore le musée Benesse. Ce n’est pas vraiment ma tasse de thé, mais je reste admirative devant le talent des Japonais dans la mise en valeur de ces œuvres pour les porter dans des conditions exceptionnelles pour notre appréciation.
La visite du jardin Kôrakuen à Okayama sous la pluie battante d’après typhon clôture ce dernier voyage au Japon pendant lequel j’ai pu approfondir mes connaissances sur ce pays magnifique et irremplaçable comme destination touristique pour les grands voyageurs. A très vite !