FACON DE PARLER,… Paris, Juillet 2004

FACON DE PARLER, FACONS DE RECITER, FACONS DE CHANTER

LÊ Ylinh, intervention au Congrès de Chime, du 1er juillet au 4 juillet 2004

La Sorbonne, Paris, France

AVANT PROPOS

La musique traditionnelle et populaire vietnamienne est une musique à transmission orale et chacune de ses musiques est née d’une fonction sociale. Nous entendons celle qui se pratique proprement dit par le peuple. On l’entend pratiquer encore, pour certaines d’entre-elles jusqu’aux années soixante – soixante dix du 20è siècle. Je limite aussi le champs de cet exposé à la tradition du nord (au delta du Fleuve Rouge) et uniquement chez les Việt (ethnie de majorité absolue au Viêt-nam).

Dans cette tradition, on peut distinguer deux tendances, l’une dite « professionnelle » ou parfois « académique », l’autre est désignée « populaire » ou « folklorique ».

La première tendance concerne quelques répertoires exécutés par des professionnels comme la musique des cérémonies et ses variantes, la musique de la cour et la musique funèbre. Parmi les caractéristiques, on note la présence des instruments de musique comme élément principal et éventuellement le chant ou la récitation. La transmission restait toujours entièrement orale jusqu’aux années soixante dix-quatre vingt. Mais si l’on ne regarde que les répertoires de la musique « académique », parfois on peut être emmené à conclure qu’il y a beaucoup de similitudes avec la musique chinoise !

La seconde tendance concerne les pratiques musicales de tous les jours et par tout le monde. Principalement vocales, la fonction sociale de cette musique est sa première caractéristique : la musique est liée à l’activité (jeu, rite, fête etc…) comme une intégrité indivisible, et chaque activité possède sa propre musique. Parfois, l’action peut être réalisée sans musique, mais rarement, voire jamais la musique est exécutée sans l’activité. Le résultat est que la musique disparaît si l’activité n’existe plus. La raison pour laquelle la majorité de genres musicaux que nous allons citer ne se pratiquent quasiment plus maintenant dans les villages.

Dans cette même catégorie, on peut citer à part un type de pratique musicale, considérée comme semi-traditionnelle : quan họ (Bắc ninh), hát dậm Quyển Sơn (Thanh hoá)… Ces musiques se distinguent par un répertoire très riche et plus conventionné, les règles sont renforcées par les concours, généralement organisés à la fête du village ou à sa propre fête.

Cette seconde tendance, la musique populaire, est pratiquée par plus de 90% de la population, il me semble évident que l’on y trouve plus d’authenticité.

C’est donc de cette catégorie que nous allons parler dans le cadre de cet exposé. Nous examinerons les différentes façons de chanter pour observer les techniques de composition, d’improvisation et de transmission. Ces techniques de mise en musique utilisent une poésie basée sur une langue à tons. Nous essayons, dans laps de temps si court qui nous est imparti, d’entrevoir certains mécanismes de cette oralité.

Je choisi l’analyse des berceuses, un des exemples le plus parlants pour observer les règles qui ont permis à ces pratiques musicales de perdurer jusqu’à l’ère de l’urbanisation, de la radio et, plus tard, de la télévision.

L’enregistrement des berceuses que je vous présente pendant l’exposé est exécuté par moi-même, en tant qu’une exécutrice et utilisatrice et non pas en tant qu’une ethno-musicologue.

A cette même occasion, je souhaite aborder très rapidement le début d’une nouvelle piste concernant l’intonation de la langue vietnamienne sous l’œil attentif de François Picard. Il s’agit vraiment d’un début, car nous pensons que les moyens utilisés à ce jour ne permettent pas avoir une compréhension globale des mécanismes dans la recherche d’une « dé-codification » du chant populaire des Việt.

LA LANGUE VIETNAMIENNE, TONS ET HAUTEUR

Il est nécessaire de faire un bref aperçu sur la langue vietnamienne, une langue monosyllabique à tons. Ces tons sont matérialisés dans l’écrit, sur le même syllabe, par cinq signes (dấu), le sixième ton est ce même syllabe dépourvu de signe (thanh ngang, ton horizontal ou ton neutre). Le même mot change de signification selon le signe qu’on mette (homophones non-homographes différenciés par le ton)[1].

Tableau 1 : Tons dans le vietnamien

ma   (fantôme)
mà (mais)
má (joue,   ou maman)* * má   signifie la joue, et maman dans le sud
mả   (tombe)** ** très   familier, ancien, parfois insultant. Sinon on dit “mộ”
mã   (cheval)*** *** mã   est un mot d’origine chinoise, le nom vietnamien du cheval est ngựa
mạ   (pousse de riz ou maman)**** **** ce   mot signifie à la fois pousse de riz et maman dans le centre

La base utilisée jusqu’à maintenant par tous les musicologues et les linguistes stipule que le vietnamien possède six tons. Aussi, le rapport de hauteur doit être respecté lorsqu’on parle afin de respecter la signification des mots (un mot change de sens si le ton change). Afin de ne pas m’éparpiller dans le développement des observations sur la langue vietnamienne, nous admettons cette base pour débuter cet exposé. Nous verrons comment ces règles sont utilisées (ou plutôt contournées) dans les berceuses.

LA POESIE POPULAIRE VIETNAMIENNE

Etant donné que les berceuses s’inspire directement et exclusivement de la poésie populaire, il est impératif de décrire quelques principes de base de cette dernière.

Une phrase du langage parlant prends sa forme poétique lorsqu’il y a deux règles qui se réunissent : le rime et le ton (vần et thanh). Une fois ces deux éléments réunis, nous voyons naître la littérature populaire : Dictons, maximes, chants populaires….

La société vietnamienne, jusqu’en 1945, se composait de 90% de paysans. Les frémissements d’une « urbanisation » ne commença réellement qu’à la fin du 19è siècle. Le contexte social fait qu’il y avait très peu d’écrit. Cette tradition de « poétisation » ou plutôt « transformation en vers rimés » de tout faisait partie intégrante de la vie des Viet et perdurait jusqu’aux années quatre vingt.

àFaire circuler les livres : il s’agit d’un petit recueil réalisé par Mã Quang Lân édité en 1993, et le recueil le plus complet de Vũ Ngọc Phan, à sa huitième édition en 1978.

Dans celui de Mã Quang Lân (le petit livre), nous distinguons deux sortes : jusqu’à la page 50, ce sont les tục ngữ, littéralement « paroles banales (rimées)», qu’on peut traduire par dicton. La suite se consacre aux ca dao [lire Ka zao], qu’on peut essayer de traduire par « dao chanté », il semble que dao est le nom d’un type de poésie (ou chant) populaire ancien.

A, Son contenu : Une vraie encyclopédie de la vie

Cette littérature populaire  parle de tout : de l’éducation des enfants, des règles et des conventions de la société, des constats sur l’inégalité, sur la vie, sur la famille, sur les relations entre mari et femme, entre la belle fille et la belle famille, entre jeunes gens ; entre les domestiques et les patrons ; ils parlent de l’amour impossible, du défi, du calendrier agricole, de l’humour, des fables, des contes, voire des recettes… On trouve même des poèmes populaires vantant les vertus des paysannes restant aux villages pendant que leur maris partaient au front, d’autres parlent des peines des ouvriers agricoles sous la colonisation française, etc….

En ce qui concerne les berceuses, leur contenu est très varié. Quelques sujets reviennent souvent comme des animaux, la transformation des comptines, des promesses au bébé etc… Mais la maman s’improvise surtout sur le contenu, choisissant la parole qu’elle veut pour s’exprimer sur le concept de la vie, de son destin, ses souhaits…, puisant les paroles dans cette littérature populaire.

B,  La forme de  Thể  thơ  lục bát

Vous constatez dans les livres qui sont entrain de circuler que Thể  thơ lục bát constitue la forme principale de toute cette littérature. Il s’agit d’un couplet de deux phrases (ou une distique de deux vers) possédant respectivement chacune six et huit syllabes.

à Projection du texte de deux couplets (un des exemples de l’analyse)

La forme : Thể  thơ  lục bát

Trúc xinh trúc mọc bờ ao

Em xinh em đứng nơi nào cũng xinh

Trúc xinh trúc mọc đầu đình

Em xinh em đứng một mình cũng xinh

Au minimum, il en faut un couplet mais souvent un morceau, bài, se compose de deux couplets. Il n’y a pas de limite, on peut ajouter autant de couplets qu’on veut comme c’était le cas de Kim Vân Kiều, l’œuvre de référence de la littérature « académique » vietnamienne de Nguyễn Du. Entièrement composée sur cette forme de poésie, elle possède quelques milliers de couplet de cette forme. Cette forme possède sûrement quelques « fantaisies » que nous ne citerons pas ici par manque de temps d’une part, d’autre part, les berceuses utilisent quasi-exclusivement cette forme pure.

Pour faciliter le suivi des analyses, je numérote de 1 à 8 les syllabes (syllabe N°6 de la phrase de six, par exemple). A noter qu’un syllabe correspond très souvent à un mot, il m’arrive d’utiliser les deux termes sans distinction.

à Projection en avant l’exemple pour le rime

Cette forme de poésie doit d’abord respecter un principe de rime

à Projection de l’exemple sur le rime (1)

gieo vần (semer le rime)
bắt vần (répondre   au rime)
bắt vần ET gieo   vần
N° 1 2 3 4 5 6 7 8
Trúc xinh trúc mọc bờ ao à gieo vần
Em xinh em đứng nơi nào cũng xinh à bắt vần PUIS gieo vần
Trúc xinh trúc mọc đầu đình à bắt vần ET gieo   vần
Em xinh em đứng một mình cũng xinh à bắt vần PUIS gieo vần

Traduction :

Beau bambou, pour que tu sois beau, (il faut que ?) tu pousses à côté d’un lac

Moi je suis belle, où que je sois, je suis toujours belle

Beau bambou, pour que tu sois beau, (il faut que ?) tu pousses à côté d’un temple

Moi je suis belle, même si je suis toute seule, je suis toujours (aussi) belle

Très souvent, c’est le cas de vần chân (1), rime de pied, comme dans cet exemple. Il s’agit du rime obligatoire entre les deux syllabes N°6 des deux phrases. On observe aussi le vần lưng, rime de dos, dans lequel le rime se situe à la syllabe N°4 de la phrase de huit, la coupant ainsi en deux, comme dans ce cas :

à Projection de l’exemple sur le rime de dos (2)

Cái ngủ mày ngủ cho lâu
Mẹ mày đi cấy đồng sâu chưa về
Bắt được con chép con trê
Cầm cổ lôi về cho cái ngủ ăn

Traduction :

Petit dormant, dors pour longtemps

Ta maman n’est pas encore rentrée, elle plante du riz aux champs profonds

(si tu es sage), elle t’emmènera carpe et poisson chat qu’elle trouve dans le champs

Elle les attache et te les emmène, tu fera à manger, petit dormant.

Une fois ces rimes respectés, la forme lục bát doit surtout prendre en compte toutes les caractéristiques d’une langue à tons, c’est à dire le rapport d’hauteur entre les tons d’une phrase et la différentiation de signification due aux tons. Elle se dote d’une règle de l’utilisation de ton, luật bằng trắc. Cette règle divise les six tons en tons égaux, bằng, et les tons obliques (ou d’obstacle), trắc, comme suit :

à Projection : bằng et trắc

Vần* bằng ou bình (égal) ma sans ton et ton huyền
Vần trắc** (oblique ou d’obstacle) mả mạ ton sắc, ton nặng, ton hỏi et ton ngã

* Vần veut dire à la fois mot, syllabe, ou rime. Dans ces cas, il faut lire mot de catégorie égale et mot de catégorie oblique (je ne trouve pas encore l’équivalent en français).

** Trắc est traduit « oblique » par Trần Văn Khê, mais trắc veut aussi dire obstacle (dans les mot trúc trắc ou trắc trở).

Aux premiers abords, ces règles ont l’air d’être très compliquées, mais je pense qu’elles sont vraiment nécessaires lorsqu’on doit composer un poème. Sinon je pense qu’on peut tout à fait les résumer comme suit, du moins pour le suivi de mon exposé :

  1. Pour les tons bằng : Les mots      « clés », des rimes sont obligés d’être des tons bằng,      égal, c’est à dire le ton huyền et le ton neutre (sans signe) et jamais d’un des tons      trắc, oblique ou d’obstacle (les quatre tons restants). Nous avons      3 mots par couplets : le mot N°6 de la phrase de six et les mot N°6      (ou 4 dans le cas de « rime de pied) et N°8 de la phrase de 8.
  2. Concernant les tons trắc (oblique ou      d’obstacle), il faut obligatoirement :

–          Dans la phrase de six, un au minimum et quatre au maximum.

–          Dans la phrase de huit, deux au minimum et cinq au maximum. Le mot N°7, dans le cas de vần chân (le rime est au mot N°6), doit être de ton trắc.

  1. Ces règles semblent suffisantes pour assurer le      souffle poétique du couplet, puisque, une fois les avoir observé, la      position des tons est libre pour tout le reste des mots.

à Remettre projection n°3 (Cái ngủ)

A noter que certains chercheurs divisent les deux tons bằng (égal) en deux sou-catégories : égal haut et égal bas, bằng (ou bình) thượng et bằng (ou bình) hạ. Nous n’observons pas d’importance particulière d’une telle division dans la mesure où de toute façon, chaque ton et sa relation dans la phrase changent à l’infini. Seule une petite remarque sur cette division : Dans les morceaux, bài, composés de deux couplets, souvent la fin des couplets (la syllabe N°8 de la phrase de huit) « s’oppose » : l’un finit sur l’égal haut et l’autre sur l’égal bas faisant un effet de miroir. Mais ceci n’est pas systématique. Les quatre tons obliques n’ont pas réellement de sous-catégories, chaque cas est différent comme nous verrons une partie dans les analyses de ces berceuses.

ANALYSE DES EXEMPLES DE BERCEUSE, HAT-RU

Elles puisent, nous avons vu, directement ses sources dans cette poésie populaire. Dans les exemples cités et analysés, les titres sont imaginés pour but de suivre le déroulement de l’exposé, il n’y a pas de titre sur les berceuses. Je vous fais écouter et voir les trois exemples l’un après l’autre.

Le chant Bắc cầu, Le pont

à Projection jusqu’à la fin de la traduction

à Projection de la transcription.

On le lit On le chante
Bồng bồng mẹ bế con sang Bồng bồng mẹ bê-ế con sang ơ
Đò dọc quan cấm đò ngang không   chèo Đò dọc-ư quan câ-ấm ờ ớ ơ ơ đo-ò ngang-ạ khổ-ông chèo
Muốn sang thời bắc cầu kiều Muốn sang thơi (ou thời) bă-ắc   câ-ầu kiều
Muốn con hay chữ thời yêu lấy   thầy Muô-ốn con hay chư-ữ ờ ớ ơ ơ thơ-ời yêu ờ lâ-ấy ờ thầy
À ơi À a à ơi, à a à ời, à a à ơi

Traduction

Je te porte mon enfant (sur mon épaule) pour traverser la rivière

Les barques de sabordage sont interdits, les barques traversales ne travaillent pas

Si l’on veut traverser, il faut construire un pont

Si l’on veut que son enfant soit érudit, il faut respecter ses professeurs

(ou si tu veux devenir érudit mon enfant, il faut respecter tes professeurs)

à mettre le CD, plage 1

Le chant Trúc xinh,  Beau bambou

à Projection jusqu’à la fin de la traduction

à Projection de la transcription

On le lit On le chante
Trúc xinh trúc mọc bờ ao   (đứng) Tru-úc xinh trúc mọ-óc bờ-ơ ao   (ou : đư-ứng)
Em xinh em đứng nơi nào cũng   xinh Em xinh em đư-ứng ờ ớ ơ ơ nơ-ời   nào cù-ung ơ ờ xinh
Trúc xinh trúc mọc đầu   đình (đứng) Tru-úc xinh trúc mọ-óc đâu-(ầu)   đình (ou : đư-ứng)
Em xinh em đứng một mình cũng   xinh Em xinh em đư-ứng ờ ớ ơ ơ   một-ột mình cù-ung ơ ờ xinh
À a à ơi, à a à ời, à a à ơi

 

Traduction :

Beau bambou, pour que tu sois beau, (il faut que ?) tu pousses à côté d’un lac

Moi je suis belle, où que je sois, je suis toujours belle

Beau bambou, pour que tu sois beau, (il faut que ?) tu pousses à côté d’un temple

Moi je suis belle, même si je suis toute seule, je suis toujours (aussi) belle

à mettre le CD, plage 2

Le chant Con kiến, la fourmi

à Projection jusqu’à la fin de la traduction

à Projection de la transcription

On le lit On le chante (j’enlève les   séquences ơ ờ ớ…)
Con kiến mày leo cành đa Con kiê-ến mày-ay leo-o cà-anh   đa
Leo phải cành cộc leo ra leo   vào Leo phai-ãi cánh cô-ốc leo ra   leo vào
Con kiến mày leo cành đào Con kiến mày leo cành đào
Leo phải cành cộc leo vào leo   ra Leo phải cành cộc leo vào leo   ra
À a à ơi, à a à ời, à a à ơi

Traduction

La fourmi qui grimpe une branche de banian

La branche est une impasse, elle tourne elle tourne

La fourmi qui grimpe une branche de pêcher

Elle tourne elle tourne, la branche est une impasse

à mettre le CD, plage 3

Sans prétendre qu’il s’agit d’une analyse approfondie par manque de temps, nous avons quelques remarques sur ces exemples :

Remarques concernant le rythme et la structure

Si nous prenons un couplet 6/8 comme unité, nous observons que celui-ci se compose de deux parties et que la coupure musicale ne correspond pas tout à fait à la coupure poétique. La première partie n’a que des ornements sur quelques syllabes, la seconde partie, elle, est très riche en ornements rajoutés ou spécifiques.

à Projection de trois transcriptions en superposition

En fait, le chant est assez rythmé (relativement par rapport à son style Rubato) jusqu’au quatrième mot de la phrase 8, transformant ainsi la phrase poétique :

à Projection de ces trois paroles en superposition

1è partie Bồng bồng mẹ bế con sang Đò dọc quan
2nd partie cấm đò ngang không chèo
1è partie Muốn sang thời bắc cầu kiều Muốn Con hay
2nd partie chữ thời yêu lấy thầy
Trúc xinh trúc mọc bờ ao Em xinh em
đứng nơi nào cũng xinh
Trúc xinh trúc mọc đầu đình Em xinh em
đứng một mình cũng xinh
Con kiến mày leo cành đa Leo phải cành
cộc leo ra leo Vào
Con kiến mày leo cành đào Leo phải cành
cộc leo vào leo Ra

1. La première partie, que je qualifie relativement « récitatif » comporte 9 syllabes sur 14 formant le couplet, en dépit de la coupure de la phrase poétique qui marque normalement à la sixième syllabe.

Cette partie est chantée à un rythme assez régulier comme l’exemple de ces chants de jeu, Đồng dao :

à Projection des paroles des comptines

à Lire

…Xúc xắc

xúc xẻ

Nhà nào

Còn đèn

Còn lửa

Mở cửa

Tôi vào

Bước lên

Giường cao

Có con

Rồng ấp

Bước xuống

Giường thấp…

Ou dans cet exemple de jeu de comptage des jambes, on le récite par couple de 2 mots, même si ce sont les phrases de quatre mots :

à Projection des paroles

à Le CD, plage 4

Nu na nu nống

Cái  cống nằm trong

Cái ong nằm ngoài

Voire un comptage dans un jeu de cache-cache se compte par groupe de 2:

à Le CD, plage 5

à Projection des paroles

5 10 15 20 25 30 35 40 35 50 55 60 65 70 75 80 85 90 95 100

Năm

Mười

Mười lăm….

Mở mắt

đi tìm

Ù à ù ập.

Peut on expliquer par une imitation du rythme des comptines qui est dominé par les groupes de deux syllabes ? Beaucoup de chercheurs s’accordent que la première base de la poésie populaire vietnamienne est celle des comptines, sans aller jusqu’à dire que les premières poésies chantées seraient de berceuse, nous pensons que cette probable liaison est intéressante à signaler.

2, La seconde partie que je qualifie relativement « mélodique » ne comporte que cinq syllabes (sur 14), avec un net ralentissement. Sur un morceau (généralement sur 2 couplets), cette séquence crée une marque répétitive structurelle du morceau. Mais il n’y a pas que cela. Nous verrons quels sont d’autres éléments contenus dans cette seconde partie.

Remarques sur les ornements (de phrase et des tons)

Je distingue deux types d’ornements : l’ornement de chaque syllabe qui commence lorsqu’une syllabe s’ouvre et se ferme et ornement spécifique du timbre (ou du genre) que j’appelle ornement identificatoire. Ce dernier n’appartient pas à une syllabe signifiant de la phrase poétique, indépendant, son unique rôle est musical (pour finir une phrase, la répéter, et surtout il nous aide à identifier le genre musical auquel appartient le chant en question, en addition des autres éléments). Il se matérialise soit par les voyelles (ơ, ư, i, à ơi… dans les berceuses), soit par les mots insignifiants (hừ, ối a, tình rằng, thời etc…. dans d’autres pratiques).

A, Ornement des syllabes ou Remarques sur les tons et la façon de chanter les tons dans les berceuses :

On dit souvent que :

–          la mélodie suit dans la plupart des cas la hauteur des tons,

–          si la hauteur des tons n’était pas respectée, on ne pouvait pas comprendre le sens de la phrase,

–          chaque ton peut (ou doit, selon le cas) correspondre à une note de musique.

Voyons ce que ces règles représentent dans l’ornement des syllabes de nos berceuses dans les exemples suivants (nous distinguons une nette différence entre les deux parties d’un couplet que nous avons vu un peu plus haut) :

1, On peut observer que dans la première partie, la façon de les chanter sont relativement similaire, (sauf exception), c’est à dire :

Le ton sắc est chanté sur un glissement de minimum de deux notes (la do ou sol do) :

à Projection d’extrait de ces mots

à Chanter (ou si possible re-enregistrer)

Cái ngủ

Trúc xinh

Con kiến

Bồng bồng mẹ bế

Le ton hỏi dans « ngủ » est chanté par une note et se transforme en ton nặng ou en ton huyền-ngang selon la chanteuse.

Une exception : trúc đứng : le mot trúc a tendance d’être une seule note, laissant l’ornement au deuxième mot qui porte logiquement le même ton « sắc ».

Le ton huyền et le ton neutre sont toujours chantés sur une seule note chacun, sauf au cas où il y a une succession de vần bằng (ton neutre et ton huyền), à ce moment là il devient un glissement des deux notes sur un des deux :

… mày leo cành đa -Leo….. (5 tons de catégorie égale qui se succèdent)

2, Dans la seconde partie, c’est à dire le mot 4 de la phrase 8 (premier ornement identificatoire) et les 4 derniers mots d’un couplet (deuxième ornement identificatoire),

à Projection d’un couplet

souvent nous observons une tendance de ramener ces syllabes sur l’air de cet ornement, d’où vient certains constats assez curieux :

–          le ton nặng peut être chanté comme le ton sắc (leo phải cành cộc)

à Projection transcription Con kiến

–          le ton ngang est devenu hỏi (chưa est devenu chửa à la fin de la phrase 8 (N°2, Mot N°7). Ces mots ont la même signification malgré deux tons différents

à Projection transcription Bắt cá

–          parfois on peut chanter le ton sắc (cái) et le ton hỏi (ngủ) avec les mêmes notes, du moins pour le début avant d’arriver à l’ornement identificatoire à la phrase 8 (N°4, mot   6-7).

à Projection transcription Bắt cá

–          Ou encore (mais ceci s’explique une partie par la coupure de vần lưng, la réponse du rime à la syllabe N°4) : Du même ton à l’écrit, le ton hỏi, dans « cổ » et dans « ngủ » dans la dernière phrase sont chantés différemment.

à Projection de l’exemple phrase 8 dans Bắt cá

Le ton ngã serait chanté comme le ton sắc, c’est à dire par un glissement montant des deux notes. Présent une seule fois dans les exemples, nous remarquerons qu’il est chanté exactement comme le ton sắc dans cette séquence.

à Projection de l’exemple de ces deux paroles + transcription en extrait.

Hay chư-ữ ờ

Câ-ấm ờ

B, Ornements spécifiques ou identificatoire

Dans la seconde partie, avec seulement cinq syllabes, nous trouvons deux séquences, une commence de suite à cette même 4è syllabe de la phrase de huit, et la seconde est à la fin de cette même phrase, avant d’attaquer le couplet suivant.

à Projection de la transcription des deux ornements (identificatoire) dans sa phrase :

 —-Đò     ngang — không chèo

————- à à ơi ———-  à à ơi ———-

The bridge

đứng ờ        một     mình       cũng ơ xinh

————- à à ơi ———-  à à ơi ———-

Bamboo

cành cộc ơ——- —————— leo ra leo vào

The ant

à If possible, sing again, one by one.

And how about the embellishment of the syllables ? We can assimilate this question into remarks on the tones and the manner of singing them in the lullabies:

It is often said that:

– in most cases, the melody follows the pitch of the tones,

– if the pitch of the tones were not respected, one couldn’t understand the meaning of the sentence,

– each tone can (or should, depending on the case) correspond to one note of music.

Let us see what these rules represent in the embellishment of the syllables of our lullabies.

One can observe that in the first part, the way of singing them (notes on tone) is relatively similar, I mean:

– The sắc tone is sung on a sliding of a minimum of two notes (la do ou sol do):

à Projection of Table 15: an excerpt of transcription of tone sắc sung

Sing

Cái ngủ

Trúc xinh

Con kiến

Bồng bồng mẹ bế

An exception: trúc đứng : the word trúc tends to be only one note (could be sung on only one note), leaving the embellishment at the second word, which logically carries the same “sắc” tone.

– The huyền tone and the neutral tone are always sung on only one note each, except if there is a succession of some of them (The equal category, vần bằng, neutral tone and huyền tone); at this time then it becomes a sliding of the two notes on one of both:

à Projection of Table 16: an excerpt of transcription of equal category tones sung

Sing :

(Con kiến) mày leo cành đa —-Leo (phảI) (Five  tones of equal category that follow one another)

– The hỏi tone in “ngủ” is sung by one note and transforms itself into the nặng (ngụ) or huyền-ngang (ngù-u) tone  according to the singer.

Cái ngủ  mày    ngủ cho ngoan

à Si possible, rechante un par un.

Petit résumé sur l’importance des ornements

– Nous remarquons que certaines syllabes perdent entièrement sa prononciation, son sens, son ton dans quelques exemples que nous venons de regarder ensemble. Dans un type de chant où les règles sont assez « simples » (entre les guillemets) comme celle des berceuses, on observe déjà tant de moyens pour « sacrifier » le sens et la structure des mots aux règles de la mélodie.

Nous voyons nettement que le fil conducteur (mạch) de l’intonation est situé dans toute la phrase voire dans l’ensemble de la structure de deux couplets et non pas sur chaque mot.

– Aussi, ces exemples confirment l’importance première de cet ornement identificatoire. Nous montrons ici l’exemple d’une berceuse moderne qui n’utilise que cet ornement identificatoire (et encore, pas du même rythme), l’auteur n’utilise même pas la forme 6/8 pour les paroles mais celle des quatre mots (thể thơ bốn chữ). Et pourtant, ce n’est pas choquant pour nous, les mamans. Apparemment, cet ornement identificatoire joue un rôle quasiment décisif à lui seul pour donner le plus grand trait caractéristique à une berceuse.

à CD : Un extrait dans Hát ru trong đêm pháo hoa, Trổ 1.

à Projection de la transcription

à Projection des paroles

Bồng bồng bồng bồng

Bồng bồng à à ơi

Bồng bồng bồng bồng

Bồng bồng mẹ ru

Trời cao tưng bừng

Muôn hồng ngàn tía

Mẹ ru con ngủ

Giữa đêm hoa đăng

Bồng bồng bồng bồng

Bồng bồng à à ơi

Bồng bồng bồng bồng

Bồng bồng mẹ ru

à Projection of Table 20 transcription Bắt cá

Cầm cổ lôi về ——–cho — cái    –ngủ    ăn      à à ơi

CONCLUSION

Sans pouvoir faire une tableau de synthèse des techniques d’improvisation utilisées, nous pouvons déjà voir, à travers ces exemples, l’essentiel des éléments composant une berceuse : les paroles prenant comme base une forme de poésie, une échelle pentatonique, un rythme et une structure rythmique bien respectés, la façon de chanter certains tons selon sa position dans la phrase et surtout les ornements spécifiques et identificatoires. Une fois maîtrisé ces quelques règles, on peut chanter ce timbre de berceuse sur tous les couplets de forme six-huit. Nous observons par ailleurs que ce principe d’improvisation serait LE PRINCIPE pour d’autres types de chants : l’ensemble du répertoire pour les types de chants simples comme les chants alternés entre garçons et filles comme hát ví, hát trống quân. Pour les traditions plus sophistiquées comme des chants du rituel de possession, et des chants de quan họ, toute la partie conventionnée, hát lề lối, suit ce principe. C’est aussi LA méthode que les musiciens, professionnels ou non, utilisent pour la transmission de leur répertoire dans nos traditions.

Je pense qu’il serait très intéressant de continuer d’explorer dans ce sens : il faut faire des analyses en mettant les mêmes échantillons de la même catégorie de chants pour comprendre comment les chanteurs construisent la mélodie, en quoi cette mélodie consiste, comment ils traitent certains tons dans chaque type de chants. Pour pouvoir trouver le noyau de chaque type comme par exemple les éléments qui reviennent souvent et parfois toujours. Il faudrait sans doute creuser beaucoup plus que l’éternel ma, mà, má, mạ, mả, mã et toutes autres idées toutes faites autour.

 

Merci pour votre attention.

Kuching, 30 mai 2004


[1] F. Picard, Ton de la langue, Notes de recherches, septembre 2000, 5 pages

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